"Il faut inciter les personnes victimes de violences sexuelles dans l'Église à contacter l'inirr!"

Christophe Chaland

Par  Christophe Chaland

Publié le 26/03/2024 à 17h31
Mise à jour le 27/03/2024 à 10h36

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"Il faut inciter les personnes victimes de violences sexuelles dans l'Église à contacter l'inirr!"
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Lorraine Angeneau, docteure en psychologie, spécialiste du psycho-trauma au sein de l'inirr, souligne les exigences de l'accueil des personnes victimes de violence sexuelles dans l’Église.

Réunis en assemblée plénière à Lourdes, les évêques de France ont annoncé vendredi 22 mars leur intention de créer une institution pérenne différente à l'issue des 18 mois de prolongation de l'instance indépendante de reconnaissance et de réparation (inirr). L'inirr est la structure chargée d'accueillir et d'accompagner les victimes de violences sexuelles dans l'Eglise, lorsqu'elles étaient mineures, quand il n'y a plus aucun recours judiciaire possible.

Vous avez rejoint l'inirr dès sa création, d'abord comme bénévole. Pour quelles tâches?

Lorraine Angeneau : L'inirr est composée de référents, qui écoutent et accompagnent les personnes victimes tout au long de leur démarche et d'un collège. Celui-ci prend les décisions de reconnaissance et de réparation, qui peut être financière, mais aussi mémorielle ou symbolique selon les attentes des personnes et en s'inspirant des principes de la justice restaurative. C'est cette seconde structure que j'avais rejoint au lancement de l'instance, en tant que psychologue clinicienne et suite à un doctorat portant sur la reconstruction des personnes.

Le protocole de l'inirr est construit sur des critères scientifiques, favorisant des effets réparateurs. Nous avons également élaboré des critères permettant de mesurer les conséquences des violences subies par les victimes du point de vue psychologique, psychiatrique et somatique. Elles sont particulièrement sévères dans le cas d'enfants qui ont subi des agressions répétées et souffrent de ce que l'on reconnaît depuis peu comme un "traumatisme complexe".

Briser le silence peut réactiver le trauma, et parfois bouleverse fortement les personnes. Cela n'avait pas pu être complètement anticipé à la création de l'instance de réparation, et nous avons dû ajuster la démarche. A ce titre j'ai rejoint l'équipe permanente comme chargée d'expertise en psycho-trauma, pour former l'équipe et accompagner au mieux les personnes traumatisées.

Quelles peuvent être les conséquences du traumatisme complexe?

Elles sont multiples car le trauma complexe est une accumulation d'expériences difficiles, avec des séquelles importantes. Les personnes souffrant de trauma complexe perçoivent le danger et y réagissent en permanence. Elles peuvent souffrir d'addictions, de phobies, de dépression, de difficultés à réguler leurs émotions, de dépersonnalisation... Or les dix-huit Centres régionaux de psycho-trauma en France ne peuvent pas encore accueillir toutes les personnes souffrant de traumatisme complexe. D'une part parce qu'ils sont déjà saturés, d'autre part parce que l'accompagnement du trauma complexe chez une personne avancée en âge demande du temps. C'est la double peine, subir des agressions et souffrir durablement.

Le président de la Conférence des évêques de France a annoncé, vendredi 22 mars, la prolongation du mandat de Marie Derain de Vaucresson à la tête de l'inirr jusqu'en juin 2026. Mgr de Moulins-Beaufort évoque également la nécessité de transformer l'inirr en un dispositif pérenne…

Nous devons rester disponibles pour les personnes en attente d'accompagnement (et les personnes qui hésitent encore à nous saisir), sinon cela représenterait une maltraitance supplémentaire. Car, d'une part, le souvenir du trauma, peut ressurgir de longues années après. D'autre part, nous constatons que l'âge des personnes victimes diminue, ce qui suppose des violences plus récentes et des auteurs encore en vie. Par exemple, nous suivons plusieurs dizaines de situations actuellement en suspension judiciaire: l'inirr ne peut se substituer à la justice et ne peut donc intervenir qu'en cas de prescription des faits, classement sans suite ou extinction de l'action publique (c'est-à-dire en cas de décès de l'accusé). Les personnes victimes doivent alors attendre la décision judiciaire avant de cheminer avec l'inirr, parfois pendant des années, c'est douloureux.

Quel message souhaitez-vous faire entendre aux lecteurs du Pèlerin?

Deux messages. Le premier, c'est que nous sommes tous entourés de personnes victimes sans le savoir. Ce sont parfois nos pères, nos filles, nos frères (les victimes mineures sont à 70 % des garçons, dans l'Eglise). Il faut inciter les personnes à oser nous contacter, car elles seront reçues d'une manière professionnelle, bienveillante, dans une stricte indépendance par rapport à l'institution ecclésiale. Ce dispositif d'accompagnement est construit autour des personnes victimes et avec les personnes victimes. Mon second message est un appel à développer, dans l'Eglise et dans la société, une immense bienveillance ainsi qu'un effort de compréhension à l'égard des personnes. Le psycho-trauma se manifeste par des réactions atypiques, différées et méconnues mais significatives du monde de terreur et d'horreur affronté dans l'enfance. Nous ne sommes pas encore une société suffisamment informée du traumatisme et de ses conséquences pour le déceler chez un enfant ou un adulte en souffrance qui se tait.

Peut-être aussi que nous ne voulons pas voir les souffrances de ces personnes?

Les enfants révèlent des secrets par leurs comportements. Pourtant on ne veut pas voir, on ne veut pas entendre, et les institutions se protègent en rejetant ce qui pourrait les remettre en cause. De ce point de vue, l'Église a innové en confiant à des instances indépendantes ( l'inirr et la CRR , ndlr) d'accueillir et d'accompagner les personnes victimes. D'autres institutions, l’Éducation nationale, les institutions du monde du sport, la société civile n'ont pas encore pris ce risque.

Qu'est-ce que l'Inirr ?

L'Inirr reçoit les victimes de violences sexuelles commis par des membres du clergé durant la minorité. Au 14 mars 2024, 1408 personnes victimes ont saisi l'inirr. 868 ont vécu la démarche d'accompagnement, 571 d'entre elles ont reçu une décision de réparation financière et/ou de démarche restaurative. En mars 2024, l'inirr reçoit 15 à 20 saisines par mois. contact@inirr.fr ou écrire au 41 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris.

La commission reconnaissance et réparation (CRR) reçoit les personnes victimes d'abus commis par un membre d'une congrégation religieuse. victimes@crr.contact ; tél.: 09 73 88 25 71 ou écrire au 226 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris.

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