Sécheresse à Barcelone : la population s'organise pour économiser l'eau

Par  Rachel Notteau

Publié le 26/03/2024 à 13h00
Mise à jour le 26/03/2024 à 14h00

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Vivre où il ne pleut plus
© Alexandre Bré pour Le Pèlerin

Le barrage de Sau est presque vide, découvrant les ruines d'un village englouti en 1962.

Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Depuis plus de trois ans, la sécheresse sévit dans l'agglomération de Barcelone. Le gouvernement régional a déclaré l'état d'urgence, incitant particuliers et professionnels à préserver l'or bleu.

À en croire le GPS de leur téléphone, Andreu et Montse devraient flotter au milieu du lac de Sau. Mais ce couple de Catalans en balade se trouve bien au sec, les pieds plantés sur une terre craquelée. « Une vision presque irréelle, je n'avais jamais vu le bassin vide… », glisse, bouche bée, le quinquagénaire, habitué du lieu depuis son plus jeune âge. Difficile, en effet, d'imaginer une réserve d'eau bleue dans ce vaste camaïeu de bruns.

Si le printemps pointe le bout de son nez, les roseaux asséchés dépérissent. « Il y a quelques années encore, je pagayais entre les fenêtres du clocher ! » assure Andreu. D'ordinaire, sous cet immense lac artificiel se dissimule le village de Sant Romà de Sau, englouti en 1962. L'impressionnant barrage, haut de plusieurs dizaines de mètres, apparaît aussi à nu. Montse et Andreu penchent la tête pour apercevoir le peu d'eau qui reste. « Et dire que ce lac sert à approvisionner les deux plus grandes villes de la région », commente la Catalane. Avec un niveau de réservoir dépassant à peine les 16 %, tous les voyants passent au rouge.

En trois ans, il n'a presque pas plu dans la région, une situation jamais vue depuis un siècle. Le gouvernement catalan a décrété l'état d'urgence sécheresse le 1er février dernier dans plus de 230 communes. À Barcelone, deuxième métropole d'Espagne, des messages d'alerte sont placardés dans les rues, les gares, à l'aéroport : « Urgence, l'eau ne tombe pas du ciel. » Près de six millions d'habitants se voient invités à couper le robinet autant que possible, et à limiter leur consommation à 200 litres d'eau par jour et par personne. Pas la mer à boire dans ce pays où elle s'établit en moyenne à 171 litres par personne, mais les communes sont chargées de vérifier, sous peine d'amende. Dans la ville de Gaudi, les rationnements se multiplient. Les charmantes fontaines se passent d'eau, les espaces bien-être des piscines municipales restent fermés et dans les salles de sport, la moitié des douches seulement sont mises à disposition. Sur la plage du centre-ville, où quelques baigneurs barbotent dans la mer encore fraîche, toutes demeurent hors service.

Vivre où il ne pleut plus
© Alexandre Bré pour Le Pèlerin

La retenue d'eau accueille en temps normal une base nautique, désormais à sec.

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© Alexandre Bré pour Le Pèlerin

Sur la plage de Barcelone, toutes les douches ont été mises hors service.

La course à la sobriété

« Il s'agit du sujet de conversation principal en ce moment », raconte Jose-Emmanuel, les pieds dans le sable, occupé à lire son journal derrière ses lunettes de soleil. Chez lui, le sexagénaire a même installé un économiseur sur ses robinets afin de réduire la pression de l'eau. Chacun y va de ses petits gestes pour économiser le précieux or bleu. « La situation est catastrophique », s'inquiète Mabel, au dernier étage d'un immeuble du centre historique. Ici, la pression a diminué depuis février et l'eau chaude tarde à venir.

Loin de s'en plaindre, la Barcelonaise invente ses propres règles. Depuis l'entrée en vigueur de l'état d'urgence, elle met des bassines dans sa douche et son évier de cuisine. Une fois pleines, elle s'en sert en guise de chasse d'eau et évite d'appuyer sur le poussoir cinq fois par jour. Si elle écourte aussi le temps passé à se savonner, d'autres voisins ne se lavent plus qu'un jour sur deux.

Les industriels doivent eux aussi réduire leur consommation d'un quart, et jusqu'à 80 % pour l'agriculture intensive. Des règles imposées à une heure trente de route du tumulte urbain, tout près de la côte méditerranéenne. « Dans l'incapacité d'arroser, je ne cultiverai pas de maïs cette année. On va vers l'inconnu », s'inquiète Marc Arnall. L'agriculteur puise en grande partie dans le fleuve avoisinant, source de revenus aussi pour les campings et clubs nautiques situés aux abords. Mais difficile d'acheminer les embarcations vers le large avec un lit à son étiage, au ras du sol. Alors, les « gens du tourisme ont dégagé le sable dans le cours d'eau pour faire remonter la mer », poursuit Marc Arnall. Sauf que l'eau salée a détruit une partie de ses cultures. « Agriculture et tourisme ne font pas bon ménage », grince l'exploitant agricole.

Quid de l'impact de la sécheresse sur le secteur du tourisme, pilier économique de la péninsule Ibérique ? Si la disponibilité de l'eau baisse, la région, elle, attire de plus en plus de bouches à abreuver, avec 21,2 millions de touristes en 2023. Au siège du gouvernement catalan, on l'assure, pas question de limiter l'afflux des visiteurs. À destination de ce groupe de jeunes Finlandais logés en auberge de jeunesse, une grande pancarte au-dessus du lavabo de la salle de bains incite à réduire la consommation. Dans l'un des quartiers touristiques de la ville, une affiche à la réception de l'hôtel rappelle également la situation critique, sur indication des autorités. Mais à deux rues de là, dans un établissement haut de gamme cette fois, aucune annonce à l'entrée. « On ne va tout de même pas demander à nos clients de rationner leur consommation d'eau », avoue à demi-mot le standardiste. Il faut satisfaire la clientèle, dont la plupart vient des États-Unis ou d'Australie en croisière.

Vivre où il ne pleut plus
© Alexandre Bré pour Le Pèlerin

Marc Arnall, éleveur, ne peut plus produire de maïs, trop gourmand en eau, pour nourrir ses bêtes.

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© Alexandre Bré pour Le Pèlerin

Cet employé de la mairie de Barcelone utilise de l'eau recyclée pour nettoyer les rues de la capitale.

Un modèle à changer

Face à l'ampleur du défi, le gouvernement catalan se veut à terme ambitieux : « La Catalogne ne dépendra plus de la pluie en 2030 », a promis Pere Aragonès, le président de la Généralité, le gouvernement autonome. Toute une batterie de mesures ambitieuses a été annoncée : construction de nouvelles usines de dessalement de l'eau de mer et ouverture de neuf stations de recyclage de l'eau. Rien de vraiment neuf, mais on accélère le mouvement. « La production d'eau dessalée a été intensifiée depuis février 2022, ces usines fonctionnent à leur production maximale », confirme le service de presse du président.

En attendant, de nombreuses villes restent ravitaillées en eau grâce à des camions-citernes et même, en juin, par un bateau-citerne venu de Valence. Du côté de Greenpeace, on se montre sceptique et on accuse le gouvernement d'une « mauvaise gestion de l'eau ». « Ce n'est pas la solution à long terme, il faut changer de modèle en baissant la consommation, et pour cela limiter le tourisme mais aussi réduire les productions agricoles. Or le gouvernement privilégie certains intérêts économiques », cingle Julio Barea, un porte-parole de l'ONG.

Pendant que la classe politique s'écharpe et que, faute d'accord sur le vote du budget, les Catalans sont convoqués à des élections anticipées le 12 mai, de nombreux habitants, groupes scolaires et touristes continuent d'affluer au lac de Sau pour voir ce stigmate visible du climat. Si la pluie continue à manquer, il pourrait devenir le nouveau Pompéi de l'âge de la sécheresse.

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