Dans le feu de la guerre, les chrétiens de Terre Sainte s’apprêtent à célébrer Noël

Christophe Chaland

Par  Christophe Chaland

Publié le 20/12/2023 à 10h00
Mise à jour le 20/12/2023 à 18h51

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© Laetitia Notarianni pour Le Pèlerin

Des fidèles de l'église Saint-Anthony, Tel-Aviv, le 2 décembre.

Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Pris dans le feu de la guerre entre le Hamas et Israël, les chrétiens de la région s'apprêtent à célébrer Noël dans un contexte de tension extrême. Tous tentent de porter, avec leurs voix diverses, le message pacifique de l'Évangile.

À Jérusalem et à Bethléem, désertées par les touristes, les lieux saints sont vides, les boutiques fermées. Le massacre perpétré le 7 octobre par le Hamas et la riposte massive de l'État hébreu dans la bande de Gaza ont déclenché un traumatisme sans précédent dans la région. Dans quel état d'esprit les chrétiens, qui représentent moins de 2 % de la population vont-ils célébrer cette année Noël, fête de l'espérance et de la joie ?

La réponse ne va pas de soi, tant leurs profils sont divers sur cette Terre sainte embrasée. Les fidèles appartiennent à treize Églises différentes et, en Israël, un fort contingent d'immigrés s'ajoute aux chrétiens israéliens, arabes la plupart du temps. Si tous espèrent la paix, leurs préoccupations ne sont évidemment pas les mêmes.

LA FOI ENVERS ET CONTRE TOUT
© Laetitia Notarianni pour Le Pèlerin

Dans la basilique désespérément vide de la Nativité, à Bethléem, on installe les décorations de Noël avec le même soin que d'habitude. Mais l'insécurité croissante empêche des milliers de pèlerins de se rassembler là où la tradition place la naissance du Christ.

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À Jérusalem, aux abords immédiats du Saint-Sépulcre, la plupart des commerçants chrétiens ont fermé boutique.

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© Laetitia Notarianni pour Le Pèlerin

À Jaffa, ville côtière de la banlieue sud de Tel-Aviv, Najim et Melody proposent, en cette saison, un choix luxuriant d'articles de Noël. Le couple appartient à la communauté grecque- orthodoxe, la plus représentée parmi les chrétiens de Terre sainte.

"Vous avez échappé aux roquettes: soyez reconnaissants!" Dans l'église Notre-Dame-Femme-de-Valeur, hébergée au rez-de-chaussée d'une bâtisse d'un quartier déshérité de Tel-Aviv, le célébrant conclut une longue homélie dialoguée dans la bonne humeur avec une assemblée de femmes philippines. Certaines proviennent des kibboutz proches de la bande de Gaza, à une ou deux heures de route, où quatre Philippins ont perdu la vie dans l'attaque du Hamas. Ce samedi, comme la veille, des explosions ont retenti dans le ciel de la grande ville du bord de mer, où surfeurs et baigneurs profitent encore d'un été interminable. La messe s'achève par une prière pour les jeunes volontaires partis servir dans l'armée. Les Philippins, particulièrement appréciés dans les services de soins à la personne, forment une des plus importantes communautés de migrants chrétiens. Ils travaillent dur, mais espèrent s'intégrer: "80 % des juifs sont simplement humains, accueillants aux différentes religions", assure Fey, 50 ans, très investie après trente-deux ans de présence dans le pays.

L'âpre condition de migrant rend vitale la proximité de langue, de culture, de religion. A fortiori en temps de guerre. "La vie spirituelle, c'est ce qui m'intéresse", affirme Raoul, 51 ans. Partout où il est passé, ce Congolais arrivé à 28 ans et désormais Israélien a rassemblé les chrétiens africains francophones pour des temps festifs de prières, danses et agapes. Mais l'avenir est sombre. "Personne ne sait comment cela va finir entre Israël et le Hamas. Quand je vois les enfants se précipiter dans l'abri de notre immeuble au son des sirènes, je pense à cette petite fille morte d'une crise cardiaque lors d'une alerte", lâche-t-il en baissant la voix.

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© Laetitia Notarianni pour Le Pèlerin

Fey, Philippine mariée à un juif américain, reste très proche de sa communauté d'origine. À la messe, elle porte aube et étole, signes de son ministère de lectrice de la parole de Dieu.

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Rafély, Jean-Claude, et le couple d'Anne et Raoul (de g. à d.) devant l'église Saint-Pierre de Jaffa, après la célébration de la messe pour les Africains francophones. Raoul tient une photo souvenir du pèlerinage réalisé à Bethléem, en 2022, pour Noël. Cette année, il a dû y renoncer.

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Nelson, sa fille Azelle Nova (10 mois) sur le bras, immortalise les retrouvailles avec la famille et les amis. Une messe et un repas ont réuni à l'église Saint-Antoine de Jaffa les Indiens de Mangalore (État de Karnataka). Un moment exceptionnel pour Nelson et son épouse Veena (tenue jaune et rouge), mobilisés habituellement sept jours sur sept par leur travail d'aidants.

Au gré de l'armée

Sur la route de Taibeh à Bethléem, à neuf kilomètres au sud de Jérusalem, l'occupation d'Israël est partout visible. Ici court une voie sécurisée entre deux murs de béton, réservée aux véhicules de la sécurité israélienne. Là, à proximité de Ramallah, des soldats interpellent un Palestinien, le font descendre de voiture et le fouillent. On croise un véhicule antimissile Patriot. Les trajets par la route sont incertains : l'armée ouvre ou ferme des check-points et peut bloquer un passage à tout moment.

Après deux années de Covid, la guerre a de nouveau interrompu le flot de pèlerins et touristes qui font vivre de nombreux chrétiens. À Bethléem, autour de la basilique de la Nativité, les boutiques d'objets de piété ont baissé le rideau. « Cette vitrine a cent ans, médite Tony, la main posée sur un meuble dans la boutique héritée de son père. J'espère que mon fils, Victor, pourra la reprendre. »

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Procession des offrandes lors de la messe de la communauté indienne à Jaffa, samedi 2 décembre. Les chants puissants de l'assemblée s'entendent depuis la rue : on fête saint François-Xavier, évangélisateur de la côte sud-ouest de l'Inde au XVIe siècle, où se situe Mangalore.

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Près de Jérusalem-Est, un message de l'administration israélienne entretient la peur : « Cette route conduit en Palestine. Y entrer est dangereux pour les citoyens israéliens. » Israël occupe la Palestine depuis 1967.

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Abouna Bashar, le curé de la paroisse latine de Taibeh, devant la porte de l'église paroissiale dédiée au Christ rédempteur. Aux confins de la Judée et de la Samarie, ce village chrétien de 1 300 habitants est entouré de villages musulmans, de colonies israéliennes et de barrages militaires.

Braver la peur

L'angoisse des chrétiens arabes, israéliens ou palestiniens, est plus vive encore. Et secrète. Une chrétienne de Jaffa, dans la banlieue sud de Tel-Aviv, consent à souffler quelques mots après avoir d'abord refusé de s'exprimer : « C'est compliqué. Nous sommes arabes et avons de la famille en Cisjordanie. Nous avons peur. Les chrétiens croient que Dieu a donné cette terre pour que tous y vivent en paix. Jésus nous a enseigné à nous aimer les uns les autres. Mais l'humanité est blessée. » Les Arabes israéliens, qui représentent 21 % de la population, se sentent écartelés. Ce pays qui bombarde leurs frères et sœurs est aussi celui qui leur offre les droits sociaux et les bienfaits de la citoyenneté. À Taibeh, un village en Cisjordanie occupée, distant d'une trentaine de kilomètres de Jérusalem, la solidarité palestinienne s'affiche au cœur de la paroisse latine : dans la crèche installée au pied de l'autel pour le premier dimanche de l'Avent, un keffieh, cette écharpe à carreaux noirs et blancs symbole du nationalisme palestinien, enveloppe la paille où l'Enfant Jésus sera déposé le soir de Noël.

« Un jour, notre société renaîtra, nous l'espérons », commente le jeune curé, Abouna Bashar. Le prêtre regrette la décision du patriarche latin Pierbattista Pizzaballa, qui a demandé aux paroisses de limiter les célébrations à l'intérieur des églises et de renoncer aux habituelles festivités marquant la préparation de Noël en signe de communion avec les victimes de la guerre. « Ce n'est pas une bonne décision, conteste le père Abouna Bashar, le marché et l'arbre de Noël, la tombola, le grand festival, la fête de sainte Barbara, ces festivités entretiennent la joie, et il en faut pour tenir dans la guerre ! Jésus est le centre de la fête, de notre vie communautaire. » Jésus, dont l'Évangile de Jean (11, 54) rapporte qu'il est passé à Taibeh, alors nommée Ephraïm, à la limite de la Judée et de la Samarie. Aujourd'hui, quatre colonies illégales selon le droit international empiètent sur les terres des fermiers de Taibeh, au nom d'une idéologie postulant le droit des juifs de s'emparer de la terre promise par Dieu.

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À Bethléem, Tony, catholique latin, pose la main sur le linteau de la « porte de l'humilité », seule entrée de la basilique de la Nativité. Les Églises grecque-orthodoxe, apostolique arménienne et latine se partagent l'administration de l'édifice.

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Tony pose ici avec son père, Victor, devant leur commerce ouvert à l'occasion de la visite des journalistes. Malgré les vicissitudes liées à la guerre, il espère pouvoir transmettre l'affaire familiale à son propre fils, également prénommé Victor.

En attendant les touristes

La guerre ravive la question lancinante de la présence des chrétiens en Terre sainte, et souligne leur courage. « Nous prenons soin des lieux saints pour vous, insiste Tony, nous ne lâcherons pas. Mais venez ! » L'épreuve est rude. En rapprochant le pouce et l'index d'une main sans qu'ils se touchent, il donne la mesure de son espérance : « Il nous en reste un petit peu. Elle viendra de là », ajoute-t-il en désignant la porte d'entrée de la basilique de la Nativité. On la surnomme la porte de l'humilité, tellement elle est basse.

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Dans le centre historique de Jaffa, croix et décorations de Noël signalent un lieu habité par des chrétiens grecs-orthodoxes.

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Chrétiennes évangéliques, Betsy et Jean sont venues du Texas (États-Unis) « pour soutenir Israël ». Depuis le mont des Oliviers, elles peuvent voir le dôme du Rocher (en arrière-plan), site sacré de l'islam. Jean porte une traduction de la Bible éditée par des juifs messianiques (qui reconnaissent en Jésus le Messie) : les églises évangéliques américaines soutiennent la conversion des juifs au Christ, croyant qu'elle entraînera la venue en gloire du Messie.

« Nos enfants veulent la paix »

«Cette année, nos enfants ne demandent pas de cadeaux. Ils veulent seulement la paix. Nous entendons beaucoup de bombardements. En cas d'alerte, c'est-à-dire souvent, l'école renvoie les enfants dans les familles. Même à l'intérieur de nos maisons, nous ne nous sentons pas à l'abri et sommes anxieux. Les nouvelles de Gaza nous attristent beaucoup : ces destructions, les milliers de morts, les enfants, les gens terrés sans secours… Nous ne savons pas de quoi l'avenir sera fait, alors nous vivons au jour le jour, sans faire de projets, en nous confiant en tout à Dieu. Nous vivrons ce Noël le regard davantage tourné à l'intérieur, dans l'attente de l'Enfant Jésus, espérant un peu de lumière. »

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© Laetitia Notarianni pour Le Pèlerin

Marina Lolas dans la cuisine du domaine français de Sainte-Anne.

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Ici, agenouillée avec l'un de ses fils dans la grotte de la Nativité, lieu de naissance de Jésus selon la tradition, sous la basilique éponyme.

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