Châteaux, crus, cépages... Le succès de l'œnotourisme

Estelle Couvercelle

Par  Estelle Couvercelle

Publié le 16/03/2024 à 14h00
Mise à jour le 18/03/2024 à 10h05

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L'ivresse de la découverte
© BOEGLY + GRAZIA

L'ancien centre de pressurage Pommery, à Aÿ, invite à découvrir l'univers du champagne à travers des expériences sensorielles.

Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Le patrimoine viticole de nos régions séduit de plus en plus. Notes d'histoire, assemblages de savoir-faire et goût de la convivialité font les beaux jours de l'œnotourisme.

Du haut de ses 10 ans, Romane s'interroge : « C'est quoi le plus vieux cognac ? » Tandis que sa famille est en pleine dégustation, la fillette attend pour boire son verre de jus de fruits, préférant d'abord s'adresser à Jérémy Marcelino. Le guide vient d'achever la visite des chais historiques de Martell, à Cognac (Charente). « Nous avons un cru qui date de deux cent vingt-deux ans », lui répond-il. « Wouah ! » s'exclame la fillette, impressionnée. C'est la cousine de Romane, Emma Lebrault, qui a proposé cette sortie familiale, une occasion de revoir les siens pour la jeune femme installée en Australie. « Je cherchais un lieu qui plaise à tout le monde, mêlant histoire et patrimoine. Apparemment, personne ne semble déçu », sourit-elle. Romane, Emma et leurs proches font partie des 10 000 visiteurs que reçoit chaque année la maison Martell.

Dans les Charentes, elles sont nombreuses à ouvrir leurs portes et ce « spiritourisme » peut revêtir des formes originales. En reprenant Cognac Guillon-Painturaud, à Segonzac, Mathilde et Élise Thorin, deux sœurs âgées respectivement de 28 ans et 26 ans, ont ainsi eu l'idée d'un « escape game ». De quoi séduire des adolescents et leur famille en les initiant de façon ludique à l'assemblage des différents crus, tout un art propre à chaque maison de cognac.

Vin tourisme
© Yohan Bonnet pour Le Pèlerin

Traditionnelle dégustation offerte à la maison Martell, née en 1715 à Cognac, point d'orgue de la visite des chais historiques.

Partager un verre et des émotions

Cette soif de connaissances, pour certains, va de pair avec l'esprit de convivialité. « Je souhaitais développer une activité basée sur les relations humaines. La dégustation de vin a répondu à cette attente », affirme Ludovic Aventin, fondateur des Clubs Épicure. Depuis 2011, ceux-ci ont essaimé partout en France : vingt-sept existent actuellement et trois sont en cours de création. « Boire n'est pas une fin en soi, c'est le plaisir de se retrouver, de partager des sensations, d'exprimer ses émotions autour d'une bouteille. Chacun a un palais et une vision différents : tout est question d'ouverture d'esprit », insiste-t-il évoquant des seniors fervents des crus classés et des jeunes actifs, notamment des femmes, amateurs de vignobles méconnus et de vins nature. Consommateurs ou pas, amateurs éclairés ou néophytes, l'univers du vin ne se résume plus au fond d'un verre.

Et ce n'est pas Romane, à Cognac, qui dira le contraire. Une fois de retour dans son école à Chevreuse (Yvelines), elle s'apprête à faire un exposé sur le sujet. Déroulé des multiples étapes de la distillation pour permettre la concentration de l'alcool et des arômes, gamme des couleurs que prendra alors le vin après le passage dans un alambic, dont elle a pu découvrir un modèle datant du siècle dernier ; topographie du vignoble présenté par un clip panoramique et caractéristiques de son cépage principal, l'ugni-blanc, la voilà au fait du cycle de vie du cognac. Et intarissable sur les différents acteurs de la filière : viticulteur, maître de chai, sans oublier le tonnelier dont les fûts doivent permettre le vieillissement du spiritueux dans des conditions optimales. « J'aurai bien des choses à raconter », confie-t-elle ravie.

Vin tourisme
© Yohan Bonnet pour Le Pèlerin

62 % des Français pratiquent des activités liées au vin pendant leurs vacances. Source: baromètre Ifop - Vin & Société 2019, "Les Français et le vin".

Avoir du nez et de folles idées

Le vignoble cognaçais n'est pas le seul à attirer ainsi le grand public. Les offres oenotouristiques se multiplient depuis l'inscription de plusieurs vignobles au patrimoine mondial de l'Unesco : la juridiction de Saint-Émilion, en 1999 ; le Val de Loire, en 2000 ; et, depuis 2015, les climats de Bourgogne, tout comme les coteaux, maisons et caves de Champagne. Visites de chais, balades dans les vignes à pied, à cheval, à bicyclette, accueil chez des vignerons, chacun y va de ses initiatives… Par exemple, chez les Lur Saluces.

En plus des visites groupées organisées dans leur propriété, cette famille emblématique du Sauternais, en Gironde, a choisi d'incarner la tradition dans un beau livre : Château de Fargues, une folle ambition à Sauternes (Éd. Glénat). « Il est essentiel de transmettre que le vin est le fruit du travail complexe de la nature et des hommes, confie Philippe de Lur Saluces. Un photographe a suivi notre travail pendant une année, au fil des saisons, afin de saisir certains des moments forts que nous vivons. » Les vignobles se racontent également au fil des multiples routes des vins. Celles-ci s'écartent des sentiers battus au profit d'itinéraires touristiques plus confidentiels, dans des campagnes vivantes, où l'activité viticole évite l'exode rural. Tant et si bien que l'on estime à 10 millions chaque année le nombre d'œnotouristes*.

Présenter les civilisations du vin dans toutes leurs composantes est la vocation de la Cité des vins de Bordeaux ouverte en 2016. Véronique Lemoine, responsable scientifique de l'établissement, détaille : « Derrière une bouteille, il y a une montagne de savoirs insoupçonnés : un travail viticole issu de traditions millénaires, des problématiques environnementales et sociétales, sans oublier la manière dont le vin s'infiltre dans la littérature, la musique, le cinéma, les arts en général. » Un monde de connaissances qui peuvent parler à tous pourvu qu'on y mette les formes. « Plutôt que de cumuler des données, nous misons sur le divertissement à travers des activités interactives et des parcours immersifs », indique Karine Marchadour, responsable de la médiation culturelle et de l'accessibilité. « L'idée est que chaque visiteur construise son propre parcours, acquière par lui-même un savoir, guidé par la curiosité, en multipliant des expériences sensorielles », résume-t-elle. Une réussite : l'établissement bordelais enregistre environ 400 000 entrées par an.

Autre région, autre établissement : à Aÿ (Marne), Pressoria se présente comme « un centre d'interprétation sensoriel » consacré au champagne. « Nous avons la chance d'avoir investi un bâtiment viticole de style Pommery de 1902, au pied des coteaux historiques. C'est le cadre idéal pour sortir des carcans d'un musée classique », confie Victor Canchon, son directeur. Là encore, le succès est au rendez-vous : 20 000 entrées à son ouverture en 2021, 49 000 deux ans plus tard. Introduire à l'univers du vin pour mieux le faire comprendre est aussi la vocation de la Cité des climats et des vins en Bourgogne, inaugurée en juin 2023, autour de trois sites Chablis (Yonne), Beaune (Côte-d'Or) et Mâcon (Saône-et-Loire), qui vise à décrypter la typicité des vignobles de la région.

Pas de découverte du monde du vin sans y plonger le nez. Partout, un dispositif olfactif constitue un moment apprécié par petits et grands. À chacun d'identifier les notes de fruits, de fleurs, d'épices, de végétaux, de sous-bois… grâce auxquelles distinguer un vin d'un autre. Succès assuré ! Tout le monde se prête au jeu, amusant et souvent déconcertant. À charge pour les adultes de compléter et d'approfondir leur expérience, cette fois en participant à un atelier dégustation animé par un expert…

*Estimation de l'agence gouvernementale Atout France.

Routes des vins, à parcourir sans modération

La Bourgogne a été la première à lancer sa route des vins (des Grands Crus exactement) en 1937 - 60 km entre Dijon à Santenay -, suivie en 1953 par l'Alsace - 170 km entre Vosges et plaine du Rhin -et la Champagne, où découvrir des vins avec et sans bulles.

Aujourd'hui, plus de 70 destinations sont labellisées Vignobles & Découvertes. Chaque région fait ainsi valoir ses atouts naturels, patrimoniaux, humains et viticoles. À l'exemple du Routard et du Michelin, plusieurs éditeurs multiplient les guides, avec informations pratiques et sites patrimoniaux à visiter.

D'autres proposent des parcours de randonnées, tel le Rando-vin Provence et Corse (de Romy Ducoulombier, Éd. Chemin des Crêtes, 224 p ; 24 €.).

À saluer aussi la 2e édition du Guide de l'hospitalité vigneronne (de Livia Gonzalves, Éd. BBD, 256 p. ; 24,90 €) qui recense les gîtes et chambres d'hôtes de domaines viticoles.

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