En Seine-et-Marne, le maire d'un village a créé une charte pour limiter l'usage des écrans dans l'espace public

Par  Rachel Notteau

Publié le 21/03/2024 à 13h00
Mise à jour le 21/03/2024 à 14h00

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La tentation d'une vie sans écrans
© Nicolas Krief pour Le Pèlerin

Vincent Paul-Petit, maire de Seine-Port, a créé une charte limitant l'usage des écrans dans l'espace public. Des panonceaux ont été accrochés sur les grilles de l'école La Chesnaie.

Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Face à l'omniprésence des écrans et à leurs effets délétères, de nouvelles initiatives, en France comme à l'étranger, incitent à la désintoxication numérique. Reportage à Seine-Port.

Après « Village fleuri » ou « Ville étape », « Commune sans smartphones » sera-t-il un label de demain ? À Seine-Port (Seine-et-Marne), un arrêté municipal a instauré une charte qui prévoit l'interdiction, depuis le 1er mars, pour ses 2 000 habitants, d'utiliser leur appareil (sauf pour téléphoner) dans les espaces publics - aux abords des écoles, en marchant dans la rue, lors des rassemblements et dans les commerces ayant donné leur aval. Des pictogrammes sur des vitrines le rappellent.

Une première en France. Sur les 272 participants au référendum municipal organisé cet hiver, 54 % avaient voté pour cette nouvelle règle. Une consultation populaire loin de faire l'unanimité. Au café La Terrasse, le sujet revient sur toutes les lèvres. « C'est n'importe quoi ! » fustige un habitué, une tasse à la main, un téléphone dans l'autre. « Le maire n'a pas le droit, c'est intrusif ! » renchérit un autre. « Il s'agit seulement d'un coup de pub », rassure-t-on derrière le comptoir. La nouvelle a même rameuté des journalistes étrangers.

Mais pourquoi mener la vie dure aux smartphones ? « Il fallait agir face aux dangers des écrans », justifie le maire, Vincent Paul-Petit (LR). Sur le terrain, l'édile a constaté un vrai fléau : des adolescents constamment rivés à leur portable, la jambe cassée d'une administrée qui a raté une marche dans la rue, des téléphones qui perturbent les élus en réunion… En moyenne, les Français passent trente-deux heures par semaine devant un écran. Soit près d'un tiers du temps éveillé à l'échelle d'une vie !

Chez les mineurs, la tendance apparaît alarmante avec trois heures par jour pour les 3-17 ans. Une surexposition non dénuée de conséquences. Des études ont mis en avant des risques cognitifs et de retard de développement chez les plus jeunes. « Nous souhaitons accompagner les familles face à l'envahissement des écrans », précise l'édile.

La tentation d'une vie sans écrans
© Nicolas Krief pour Le Pèlerin

Convaincre au lieu de punir

Plutôt une injonction morale qu'une punition : en cas de non-respect, aucun risque de contravention. A-t-on d'ailleurs la possibilité, en France, de prohiber l'usage des téléphones dans l'espace public ? « Sur les bases d'un motif de santé publique, de cohésion sociale ou de vie démocratique, il aurait pu être possible d'appliquer une contravention de première classe, soit 38 euros. Mais il faudrait beaucoup de moyens pour contrôler », analyse Kevin Nader, juriste et membre du Cercle droit et liberté. Il y a quatre ans à peine, les atteintes à la liberté les plus excessives avaient été prises pour des raisons de santé publique face au Covid-19. « Mais je pense qu'un juge administratif annulerait la décision d'une verbalisation, qu'il pourrait juger “manifestement excessive” vis-à-vis des libertés publiques », nuance l'homme de droit.

À la mairie aussi, on se veut rassurant : « Nous ne voulons pas faire la police, seulement sensibiliser la population. Nous visons le même objectif que pour les mégots jetés à terre. Cela ne donne pas lieu ici à verbalisation mais c'est mal vu », clarifie le maire. Si certains commerçants s'en félicitent, à l'instar du boucher Sébastien Quenouillère qui reprend les clients « irrespectueux » en pleine conversation téléphonique, le contrôle social n'est pas encore d'actualité dans les rues de Seine-Port.

À la terrasse du café, au cœur du village, la serveuse, Angélique Da Silva, n'en démord pas : il ne lui incombe pas de faire une remarque à ses clients connectés qui dérogent à la règle. D'ailleurs, deux amies d'une vingtaine d'années se trouvent en pleine discussion, leurs smartphones posés sur la table. « J'ai bien du mal à m'en passer », confie l'une d'elles en jetant un œil sur l'outil « temps d'écran » de son téléphone. Le compteur de la veille affiche trois heures cinquante-quatre minutes. « Cela me paraît raisonnable pour une fille de son âge ! » glisse Angélique.

La tentation d'une vie sans écrans
© Nicolas Krief pour Le Pèlerin

Sébastien Quenouillère, le boucher, reprend les clients qui utilisent leur portable dans sa boutique.

La tentation d'une vie sans écrans
© Nicolas Krief pour Le Pèlerin

Angélique Da Silva, salariée du bar tabac brasserie La Terrasse, se refuse à faire la police.

Un message qui infuse

Le smartphone a encore de beaux jours devant lui. « Il faut vivre avec son temps ! Comment ferait mon fils sinon ? » s'indigne Olivier Creveau. Lorsqu'il rentre du collège, son adolescent doit souvent réserver un TAD (service de transport à la demande dans les zones mal desservies) via son téléphone… Celui-ci s'est tant immiscé dans toutes les tâches de notre quotidien que l'on peut difficilement limiter son usage. Mais timidement, le message infuse. Déborah n'hésite plus à corriger son aîné de 16 ans lorsqu'il marche dans la rue, les yeux aspirés par l'écran. Cette mère de 37 ans a d'ailleurs voté en faveur de la charte contre les smartphones. Peut-être même s'engagera-t-elle dans quelques années auprès de la municipalité pour obtenir gratuitement un téléphone sans Internet pour sa fille, lors-qu'elle entrera en CM2. En contrepartie, il ne faudra pas lui acheter de smartphone avant la fin du collège. « Si tous les parents signaient, les enfants n'auraient sans doute plus envie d'avoir un smartphone… » dit-elle.

La tentation d'une vie sans écrans
© Nicolas Krief pour Le Pèlerin

Les mineurs, qui passent trois heures par jour sur les écrans, peinent à accepter l'arrêté municipal.

Un mouvement mondial

Cette initiative innovante a trouvé son inspiration en Irlande. À Greys tones, commune littorale au sud de Dublin (Irlande), les smartphones se voient bannis à l'école comme à la maison pour les moins de 13 ans. Un pacte fondé sur le volontariat. Dans le monde entier, des opérations antiécran se propagent. En Espagne, les parents interpellent le gouvernement à coups de pétition (80 000 signatures) pour imposer une « adolescence sans smartphone ». En Inde, dans le petit village indien de Vadgaon (État du Maharashtra), une sirène retentit chaque soir pour inviter les habitants à décrocher de leurs écrans. Aux États-Unis, la Chambre des représentants a voté, le 13 mars, une proposition de loi prévoyant l'interdiction du très populaire réseau social TikTok, s'il ne coupe pas les liens avec sa maison mère chinoise… Dans l'empire du Milieu, la version nationale, Douyin, se trouve soumise à restriction. Pékin ne lésine pas sur les mesures coercitives face à la surexposition aux écrans avec, notamment, un couvre-feu numérique pour les mineurs entre 22 heures et 6 heures. Dans la Silicon Valley (Californie), berceau de l'ère numérique, les pionniers de ces outils proscrivent le fruit de leur création à leur progéniture… Un comble qui fait réfléchir. « Il faut aussi réguler ces entreprises privées qui tirent profit en captant notre attention. Les interdictions ne doivent pas être une finalité », estime la philosophe Anne Alombert*.

En France, Emmanuel Macron a annoncé, en janvier, vouloir « reprendre le contrôle » des écrans chez les enfants, en restant flou sur les mesures possibles. Une commission d'experts doit rendre ses conclusions d'ici à la fin mars. En attendant, de nombreux élus locaux sollicitent l'avis du maire de Seine-Port.

* Autrice de Schizophrénie numérique (Éd. Allia, 96 p. ; 7,50 €).

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