Florence Denier-Pasquier : « Tout est lié par l’eau »

Florence Denier-Pasquier : « Tout est lié par l’eau »
© Thomas Louapre pour Le Pèlerin

Dans sa commune de Sainte-Gemmes-sur-Loire, Florence Denier-Pasquier aime se promener sur les bords du fleuve.

Juriste spécialiste de l’eau, Florence Denier-Pasquier s’investit bénévolement depuis vingt-cinq ans au sein de l’organisation France Nature Environnement pour protéger cette ressource vitale. Un engagement nourri par sa foi chrétienne et la spiritualité franciscaine.

Restrictions d’eau, rivières à sec, nappes phréatiques en souffrance : cet été encore, la France vit une sécheresse inédite. Est-ce une surprise pour vous ?

Non, pas du tout. Nous avons encore eu un hiver sec, plus de 60 % des nappes souterraines n'ont pas pu se recharger normalement. Or, ce sont elles qui alimentent les cours d'eau l'été. Ce que je trouve très inquiétant, c'est l'état des têtes de bassins-versants, ces territoires de sources et de zones humides indispensables pour la ressource en eau. Le dernier état des lieux de l'Office français de la biodiversité montre qu'il y a encore plus de petits ruisseaux à sec que l'an passé. Cela indique que des sécheresses longues s'installent, causant de gros dégâts sur les êtres vivants et sur l'eau disponible.

Quel effet le changement climatique a-t-il sur nos ressources ?

Il bouleverse le cycle de l'eau en accélérant l'évapotranspiration. À chaque degré de température supplémentaire correspond une hausse de 7% de la vapeur d'eau dans l'atmosphère. Si elle est plus présente dans l'air, elle l'est moins dans les sols et les nappes. Or, c'est là que nous en avons besoin pour notre sécurité hydrique. Nous, humains, nous sommes développés avec l'idée que l'eau est inépuisable, car elle se trouve toujours en quantité constante sur Terre. Sauf que, quand elle circule sous forme de vapeur et non de liquide, cela n'a pas les mêmes conséquences...

Comment en êtes-vous venue à vous y intéresser ?

Toute petite, j'ai grandi au bord du Gesvres, non loin de Nantes. J'étais toujours fourrée près de la rivière, à l'observer. Je pense que cela m'a donné le goût de l'eau. Plus tard, j'ai écrit un mémoire sur une petite rivière de Maine-et-Loire, le Thouet. Étudier la complexité des milieux aquatiques et leurs interactions avec les usages humains me plaisait. Puis j'ai effectué trois ans de travail doctoral avant de devenir formatrice spécialisée dans le droit de l'eau et des milieux aquatiques. En parallèle, depuis dix-huit ans, je fais du plaidoyer pour la protection de l'environnement et je travaille bénévolement sur de nombreux contentieux, notamment pour défendre le "non-usage" de l'eau. On regarde celle qui coule à notre robinet, mais quand l'eau manque, c'est aussi la nature qui en souffre.

Vous coanimez le réseau national des juristes de France Nature Environnement (FNE). À quoi sert concrètement le droit pour défendre ce bien commun ?

C'est un instrument de partage et de règlement des différends. L'eau est depuis longtemps un objet de conflits entre usagers. Le mot "rival" vient de "riverain"! À partir de 1964, le droit a aussi servi à arbitrer ce que les usages humains doivent laisser au milieu naturel. Mais il a très mal anticipé l'impact du changement climatique sur la ressource. Depuis dix ans, mon combat vise à faire évoluer ça. Par exemple, certains préfets accordent régulièrement des volumes de prélèvements pour l'irrigation très supérieurs aux recommandations scientifiques et à ce qu'autorise la loi. En juillet, dans le bassin de l'Adour, FNE a encore saisi le tribunal administratif de Pau pour dénoncer cette pratique illégale qui entretient un modèle agricole suicidaire, orienté vers la culture du maïs. Sous la pression notamment de la FNSEA ( le principal syndicat agricole, NDLR), l'État enfreint ses propres règles.

Florence Denier-Pasquier : « Tout est lié par l’eau »
© Thomas Louapre pour Le Pèlerin.

"L'eau est depuis longtemps un objet de conflits entre usagers. Le mot “rival” vient de “riverain”!" Florence Denier-Pasquier

L’agriculture a tout de même besoin d’eau, non ?

Plus de 90 % des terres agricoles ne sont pas irriguées, mais celles qui le sont représentent 58 % de la consommation totale d'eau. Parmi ces dernières, il devient vital de privilégier les cultures directement alimentaires pour l'homme et ancrées dans le territoire, comme les fruits et légumes. Or, actuellement, l'irrigation sert majoritairement à accroître des rendements céréaliers. Les tensions en Nouvelle-Aquitaine autour des bassines dévolues à l'irrigation s'expliquent notamment parce qu'une part considérable des céréales produites grâce à elles sont destinées à des marchés mondiaux financièrement très attractifs. En 2022, le port de La Rochelle a ainsi vu le volume de céréales exportées croître de 50 %! Si l'agriculture était centrée sur l'alimentation du territoire, l'eau y resterait au lieu d'être exportée... Notre modèle agricole doit changer, en lien bien sûr avec le contenu de notre assiette.

Vous êtes membre d’une fraternité séculière franciscaine. Quel rôle saint François d’Assise joue-t-il dans votre engagement ?

Un grand rôle, en tant que patron des écologistes! J'aime beaucoup ce verset de son Cantique des créatures: "Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau qui est très utile et très humble, précieuse et chaste." Utile, car l'eau est une ressource. Humble, car elle est ce qui coule toujours au plus bas. Précieuse, car elle est indispensable à la vie. Et chaste, car on ne peut pas se l'approprier. Dans le droit de l'eau, cette notion est centrale. En effet, s'approprier l'eau, par une retenue, un barrage ou une bassine s'avère nuisible à son cycle. Un cours d'eau, ça court! Quand on veut arrêter l'eau, on en paie les conséquences.

L’eau est libre ?

Oui, elle est libre, sans frontières. Pour reprendre une expression très présente dans l'encyclique du pape François Laudato si', "tout est lié" par l'eau: l'amont et l'aval, le souterrain et le ciel, les vivants entre eux. Nous sommes reliés par l'usage de cette même ressource vitale.

Tout est lié par l’eau, mais elle divise aussi...

Oui, car le cycle de l'eau est très complexe à appréhender. Par exemple, on entend beaucoup dans le milieu agricole: "Toute cette eau qui va à la mer se perd, il faut la récupérer l'hiver." Nous ne pouvons pas réduire l'eau à nos besoins humains, celle qui va à la mer n'est pas perdue, elle assure le bon fonctionnement des écosystèmes dont nous dépendons. Chercher à nous approprier l'eau au détriment des milieux naturels se révèle contre-productif car cela nous prive des conditions de son renouvellement.

L’eau est un symbole sacramentel pour les chrétiens. Elle est aussi centrale dans des lieux de pèlerinage comme à Lourdes. Pensez-vous à cette dimension-là quand vous la défendez ?

Retrouver une proximité avec des cours d'eau vivants représente bien plus qu'un enjeu écologique. J'ai la chance d'avoir un thème d'engagement pour lequel la parole de Dieu offre de nombreux éclairages! Le nombre de fois où l'eau est citée dans la Bible m'impressionne, depuis les psaumes jusqu'à la rencontre du Christ avec la Samaritaine... Je suis convaincue que si l'eau disparaît autour de nous, l'été dans les rivières par exemple, nous nous appauvrirons aussi intérieurement. Comment entendre alors la force du psaume 1, selon lequel l'homme heureux en Dieu est "comme un arbre planté près d'un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne meurt"? Nous étions dans une culture de l'abondance, nous devons entrer dans une culture de la rareté pour garder un monde vivable. L'eau est un bien commun essentiel. Poser des limites à nos propres usages est un changement culturel majeur. Et donc un enjeu spirituel.

En coulisses

Florence Denier-Pasquier : « Tout est lié par l’eau »
© Thomas Louapre pour Le Pèlerin.

"Ici, c'est le paradis..." L'œil pétillant, Florence Denier-Pasquier nous amène pour la séance photo sur le bord de la Loire, à une centaine de mètres de son domicile, à Sainte-Gemmes-sur-Loire (Maine-et-Loire). C'est là qu'elle se ressource et qu'elle a commencé sa vie militante: "J'ai été formée par ceux qui se sont battus jusque dans les années 1990 pour la garder sauvage et contre l'extraction de sable." En ce jour de mi-juillet, elle jette un œil inquiet sur les bancs de sable affleurant au large de l'île aux Chevaux. "J'en ai vu au même endroit l'an dernier, pour la première fois. C'est le signe que la Loire est vraiment très basse. Nantes risque bientôt de ne plus avoir assez d'eau." L'inquiétude climatique ne la quitte plus. Été comme hiver.

Sa bio

1970 Naissance à Nantes (Loire-Atlantique).

1983 Découverte de saint François d'Assise à travers une troupe de théâtre.

1988-1998 Études à l'IEP de Grenoble, puis DESS en environnement et urbanisme, suivi d'un travail doctoral sur le droit de l'eau.

1998 Début de son implication au sein d'une association membre de la fédération France Nature environnement (FNE).

2007 Entrée dans le réseau juridique de FNE.

2010 Engagement dans la fraternité franciscaine séculière. Nomination au Conseil économique, social et environnemental pour représenter FNE (jusqu'en 2021).

Depuis 2020 Désignation comme représentante de FNE au Comité national de l'eau.

Commentaires

  • 03/04/2024 02:47 Répondre

    Laurent DENISE

    on peut nourrir la planète avec des sols vivants et donc l’agriculture de conservation des sols, mais on ne pourra JAMAIS sauver les campagnes sans mettre AUX NORMES les villes !!! en France les recyclages de l’eau et de la matière organique sont inexistants !! Les stations d’épuration sont des armes de désertification massive ! non seulement l’eau est jetée en rivières pollue TOUTES les rivières mais TOUTE la fertilité des sols ( la matière organique) disparait dans des incinérateurs ou des décharges ! La France ne manque pas d’eau, la consommation (potable, industrie et agricole) ne représente que 2.5% des précipitations annuelles, mais juste de réserve. Actuellement les rivières françaises rejettent entre 50 et 70% des précipitations (alors qu’il ne faudrait jamais dépasser les 30% …) ce qui provoque des inondations, un assèchement mathématique des bassins hydrologiques. Tous les ans les indemnités sécheresses et inondations coutent des milliards aux contribuables (sans parler des vies humaines … ) alors qu’avec quelques millions on résoudrait en même temps les deux problèmes. Sans oublier l’énergie propre que peut fournir une turbine associée à une retenue, en France nous avons largement de quoi doubler notre production hydroélectrique !
  • 16/09/2023 06:11 Répondre

    Laurent DENISE

    L'eau c'est un cycle donc une quantité infinie tant qu'on respecte le cycle !
    Les agriculteurs ne sont pas des consommateurs d'eau mais des producteurs de pluie ! La plante qui "consomme" le plus d'eau l'été donc qui climatise le mieux et qui alimente le cycle de l'eau c'est l'arbre ( le feuillu) , il est techniquement impossible d'évaporer plus d'eau qu'une forêt mais il ne faut surtout pas en évaporer moins sinon provoque les sécheresses et les canicules ! L' eau douce c'est un cycle donc une quantité infinie TANT qu'on ne la jette pas en mer MAIS qu'on la recycle proprement dans les terres , en France le recyclage de l'eau est à 0.8% ... mettez les villes aux normes et on aura tous trop d'eau !
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