Compostelle et Kumano Kodo au Japon : deux chemins frères et sacrés

C'est en 2002 que Patrick Jager, ayant déjà arpenté de nombreux sentiers d'Europe et d'Orient (Grèce, Turquie, Iran, Afghanistan, Pakistan, Inde, Népal, Thaïlande, Malaisie, Syrie, etc.), décide de se lancer sur les chemins de Saint-Jacques, en reliant Genève à Compostelle (1700 km). "Après avoir connu les paysages enchanteurs de l'Orient, cette itinérance a été un retour vers mes origines", explique-t-il. Un livre illustré (1) et une exposition sont nés de ce voyage.

L'appel de l'Orient

Mais l'appel de l'Orient reste le plus fort. "D'ailleurs, remarque Patrick Jager, tout peintre voyageur qui se respecte tisse un lien privilégié avec le Japon, patrie du célèbre Hokusai (2)." À deux reprises, en septembre 2019 et en mai 2023, le peintre voyageur découvre ainsi les chemins des monts Kii (3), berceau culturel et cœur spirituel de l'Empire du soleil levant.

Ayant effectué à la fois le Kumano Kodo et les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, Patrick Jager est ainsi devenu un dual pilgrim (un "double pèlerin") . "Les doubles pèlerins reçoivent un badge "dual pilgrim" (représentant les symboles des deux chemins: la coquille Saint-Jacques et le corbeau à trois pattes) et sont mentionnés sur la page internet spiritual-pilgrimages.com", explique le site internet dédié à ce programme.

Des différences essentielles...

Durant ses deux voyages au Japon, Patrick Jager a parcouru en tous sens les chemins du Kumano Kodo. "À la différence des chemins de Compostelle, précise-t-il, le pèlerin ne se dirige pas ici vers un sanctuaire unique. Son but, c'est de visiter les trois temples principaux de la péninsule: Hongu, Nachi et Hayatama." Sept chemins principaux (qui font entre 70 et 300 km) y conduisent (voir carte ci-dessous).

Poursuivant sa comparaison entre les deux itinéraires de pèlerinage, le peintre remarque aussi que les chemins du Kumano Kodo sont moins fréquentés, plus difficiles à parcourir (relief montagneux, chaleur humide), et qu'ils ne sont pas victimes des dérives commerciales que peut connaître le chemin de Compostelle.

Et pour cause: "Le pèlerin évolue ici dans une nature reconnue comme sacrée, explique Patrick Jager . Le shintoïsme, qui prédomine dans ces montagnes, est une religion animiste, qui vénère les forces de la nature. Pour les habitants de ces régions, rochers, rivières, arbres ou cascades sont habités par des kamis (esprits ou divinités). C'est pourquoi ils sont souvent entourés d'une corde en paille de riz, et les pèlerins doivent se prosterner devant eux en faisant tinter une clochette."

...mais aussi des ressemblances !

En dépit de ces différences, les chemins du Kumano Kodo et de Compostelle présentent de nombreuses similitudes. Tout d'abord, le pèlerinage japonais possède, comme celui de Compostelle, un symbole: le Yatagarasu, corbeau légendaire possédant trois pattes ( l'une pour le Ciel, une autre pour la Terre et la troisième pour les hommes ). Les pèlerins du Kumano Kodo ont aussi des attributs particuliers: une veste blanche, un chapeau cônique, un bourdon. Ils acquièrent également un carnet spécifique où ils font apposer une preuve de leur passage: tout au long du parcours, devant certains éléments de la nature (arbre, rivière, etc.), une boîte contient un tampon et de l'encre que chaque pèlerin peut utiliser ; et dans les grands temples, un moine calligraphie le nom du sanctuaire.

"En raison de cette richesse culturelle et de l'ancienneté de ce pèlerinage, qui remonte à plus de 1200 ans, explique Sébastien Pénari, de l'Agence des chemins de Compostelle, les chemins du Kumano Kodo ont été inscrits en 2004 sur la liste du Patrimoine mondial par l'Unesco sous l'intitulé “Sites sacrés et chemins de pèlerinage dans les monts Kii”."

Partager et transmettre

Lors de son premier pèlerinage au Japon, en 2019, Patrick Jager a été invité par le directeur du centre spirituel du Kumano Kodo, le Heritage Center de Hongu, à réaliser une exposition qui mettrait en miroir le patrimoine de ces deux chemins . "Comme il existait déjà une exposition de ce peintre sur les chemins de Compostelle, explique Aline Azalbert, de l'Agence des chemins de Compostelle, l'idée était d'en réaliser une nouvelle mêlant les deux pèlerinages et de la proposer à la location pour faire connaître ces chemins japonais en France."

Trente digigraphies (impressions numériques des aquarelles) ont donc été réalisés, en partenariat avec Atout France Japon et avec le soutien de la Région Occitanie. Cette exposition, intitulée "Regards croisés sur le chemin de Compostelle et le Kumano Kodo", s'accompagne d'un catalogue reproduisant la totalité des peintures. "Le vernissage, pour lequel je me suis rendu le 4 septembre dernier à l'Institut français de Tokyo, raconte Sébastien Pénari, a été l'occasion de créer de nouvelles passerelles entre ces deux chemins, et de renforcer les échanges culturels entre la France et le Japon. Pour poursuivre cette démarche d'échange et d'ouverture, cette exposition est à présent disponible à la location." Un bel exemple de coopération entre Orient et Occident!

(1) Carnets d'un peintre sur le Chemin de Compostelle, Glénat, 2003, 144 p., 30,50 euros.
(2) Peintre, dessinateur et graveur japonais du XVIIIe siècle.
(3) La péninsule de Kii se situe sur l'île principale du Japon, Honshū, en dessous d'Osaka.