La ligne sacrée de saint Michel, ce mystérieux chemin qui relie sept sites dédiés à l'archange

Gaële de la Brosse

Par  Gaële de la Brosse

Publié le 15/04/2024 à 15h48
Mise à jour le 16/04/2024 à 10h51

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Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

En quittant le Mont-Saint-Michel (Manche).

En 2023, le Breton Eric Georgelin a marché pendant 109 jours sur la « ligne sacrée de saint Michel », un alignement de sept lieux consacrés à l’archange. Alors qu’il s’apprête à effectuer ce chemin en sens inverse, il nous relate son voyage sur ce mystérieux itinéraire.
Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

La "ligne de saint Michel", qui relie sept lieux sacrés, avec le trajet effectué par Eric Georgelin.

Qu'est-ce que la "ligne sacrée de saint Michel"?

C'est un alignement géographique remarquable qui relie sept grands sites sacrés, depuis le mont Carmel en Israël jusqu'à la pointe Sud-Ouest de l'Irlande. Sur sa partie occidentale, tous les sites sont dédiés à saint Michel, depuis la péninsule du Gargano, dans les Pouilles italiennes (où l'archange s'est manifesté pour la première fois dans le monde latin), en passant par la Sacra di San Michele près de Turin, le Mont-Saint-Michel en Normandie, le St Michael's Mount en Cornouailles anglaises, pour finir au Skellig Michael, un îlot d'une rudesse absolue au large du comté de Kerry. Les Italiens nomment cette ligne la "Spada di San Michele" (l'épée de saint Michel): elle symboliserait le coup d'épée que l'archange asséna au diable pour l'envoyer en enfer. Pour ce premier voyage, j'ai relié le Mont-Saint-Michel (Manche) au Monte Gargano. Le reste suivra!

Comment avez-vous connu cet itinéraire et pourquoi avez-vous souhaité l'emprunter?

Je suis aujourd'hui tellement imprégné de ce chemin que je ne sais plus comment j'en ai eu connaissance. Peut-être était-ce au pied de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, sur des panneaux d'affichage, ou bien dans un livre. Ce que je sais, c'est que je suis habité par cette ligne depuis six ou sept ans. Le projet de la parcourir à pied m'est apparu comme une évidence. N'est-ce pas le moyen idéal pour s'approcher un peu de la figure complexe et si riche de l'archange?

Comment avez-vous préparé votre voyage et établi votre itinéraire?

J'ai consacré beaucoup de temps à étudier les sources sur cette ligne de saint Michel, qui sont peu nombreuses et éparses: les écrits de l'helléniste Jean Richer, les Chroniques gargantuesques, l'histoire du Mont-Saint-Michel, la toponymie et la mythologie des lieux. Puis j'ai fait une découverte décisive: le livre The Dance of the Dragon, publié en 2000 par deux Britanniques, Paul Broadhurst et Hamish Miller. Ces hommes, qui ont consacré plusieurs années à l'étude de cette ligne, y ont relevé plusieurs centaines de lieux. Il ne me restait plus qu'à compléter cette liste par mes propres recherches. Ainsi, la préparation fut déjà une aventure!

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

A l'abbaye de la Clarté-Dieu (Indre-et-Loire), avec Patrick et Julita.

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

Au col du Mont-Cenis, qui relie la vallée de la Maurienne, en France, et le val de Suse, en Italie.

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

L'abbaye de San Michele della Chiusa, connue sous le nom de "Sagra" ou "Sacra di San Michele" (province de Turin, Italie).

Comment s'est déroulée votre marche, sur le plan logistique?

Dans les grandes villes, je dormais en hébergement payant. Le reste du temps, je faisais confiance au chemin: je demandais de l'eau et je finissais dans le canapé familial! Dans le Mâconnais, un châtelain m'a même prêté sa demeure et emmené dîner dans un restaurant gastronomique. Et quand le hasard ne m'était pas favorable, je trouvais abri dans les endroits les plus insolites: granges abandonnées, locaux communaux pour animaux errants, abribus, hangars, toilettes publiques etc. Pour ce qui est de l'itinéraire, il n'existe aucun balisage ni aucun guide ; j'ai donc créé entièrement ma trace sur Google Earth. Quant à la nourriture, ce fut souvent compliqué, car les commerces désertent peu à peu nos campagnes. Je devais parfois marcher trois ou quatre jours entre deux points de ravitaillement, et porter un poids supplémentaire.

Était-ce pour vous une randonnée ou un pèlerinage?

Il y a dix ans, j'avais marché le long de la Loire, depuis Nantes, pour rejoindre Vézelay. J'étais parti randonneur, et arrivé pèlerin. Cette fois-ci, le parcours relevait d'un compagnonnage avec l'archange. Ainsi, pas un instant je ne me suis senti en randonnée.

Quels lieux vous ont le plus marqué?

La Sacra di San Michele, au pied des Alpes, à côté de Turin, qui se trouve à égale distance du mont normand et de la péninsule du Gargano. Ce lieu, perché sur un éperon rocheux si caractéristique des lieux michaëliques, est un endroit où souffle l'Esprit. Je citerais aussi quelques églises perdues, éloignées des villages, comme celle de Cortazzone, où la richesse symbolique, la perfection de la construction m'ont offert un moment privilégié de communion avec le sacré, et par là-même présenté le miroir de mon immense ignorance face aux mystères de la foi et des bâtisseurs.

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

A la Sacra di San Michele, devant la représentation de la ligne sacrée de saint Michel (province de Turin, Italie) .

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

Eglise romane de Cortazzone, dédiée à saint Second (région du Piémont, Italie).


Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

Etape à Assise (Ombrie, Italie).

Votre meilleur et votre pire souvenir?

Je ne crois pas avoir de mauvais souvenir, tout au plus des déceptions: par exemple celle d'avoir souvent été reçu comme un paria, là où je pensais que les Évangiles guidaient les actes des serviteurs des lieux. Mais je préfère me rappeler de l'ouverture du cœur de tous ceux qui m'ont aidé, encouragé ou accueilli. Choisir le meilleur souvenir est tout aussi difficile. Il y en a tant! Parmi eux, la soirée et la nuit de grâce que j'ai passées à Serracapriola, petite ville des Pouilles. Alors que je ne savais rien de ce lieu, on m'a offert de dormir seul dans le monastère où Padre Pio a appris la théologie avant d'être envoyé au couvent de San Giovanni Rotondo. Quel formidable cadeau!

Qu'est-ce que ce chemin vous a apporté?

Une soif de sacré et la rencontre avec ma mission de vie. Je vis cela comme une immense grâce. Mais je dois vous faire une confidence: j'y ai aussi appris la gloutonnerie, l'appétit insatiable pour la beauté. J'en suis revenu addict, et je m'en nourris chaque jour. Et puis, il y a ce que j'appelle le "grand secret": l'Humanité est belle. Les humains disposent d'un immense réservoir de bonté intérieure. Enlevez la peur, et toutes les digues sautent!

Pourquoi souhaitez-vous faire ce chemin en sens inverse?

Parce que si je ne le faisais pas, j'aurais l'impression de ne pas avoir totalement accompli ma tâche. Dans la concordance des sites, on trouve deux chemins. Ils se croisent sur les grands lieux de cette ligne de saint Michel, mais ils empruntent des itinéraires différents, parfois très proches, parfois éloignés de quelques dizaines de kilomètres. Le schéma général est celui d'un caducée gigantesque qui serait inscrit dans les paysages à l'échelle continentale. Et puis, j'aime l'idée de la circumambulation.

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

En vue du monte Gargano (Pouilles, Italie)!

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

La rencontre d'Eric Georgelin avec l'archange à San Giovanni Rotondo (Pouilles, Italie): sculpture de Paul Schatz.

Sur la ligne sacrée de saint Michel
© Eric Georgelin

Arrivée au monte Gargano (Pouilles, Italie).

Quels sont vos projets sur ce sujet pour les années à venir?

Au printemps 2025, je parcourrai donc le deuxième chemin, en partant de Brindisi. Si tout va bien, quatre mois plus tard, je serai au Mont-Saint-Michel. L'année suivante, je sillonnerai la Grèce: Corfou, Delphes, Athènes, Délos, Rhodes m'y attendent. Enfin, je complèterai le trait jusqu'aux deux extrémités de cette ligne: le mont Carmel, en Israël, puis les Cornouailles anglaises et l'ouest de l'Irlande.

Conseilleriez-vous d'emprunter cet itinéraire?

Comment pourrais-je ne pas vouloir partager cette joie? Cependant, ce n'est pas un voyage très facile. C'est la raison pour laquelle chaque année, seuls trois ou quatre pèlerins parcourent cette voie. Il n'y a pas d'itinéraire balisé à proprement parler ; même si, à partir de l'Isère, on peut se raccorder au chemin d'Assise. En France, j'ai emprunté des sentiers de grande randonnée sur une cinquantaine de kilomètres seulement. L'absence d'infrastructure, la solitude sont aussi source de liberté et d'appel à la Providence: il faut les désirer.

S'il fallait résumer ce voyage?

J'ai vécu ces 109 jours le cœur grand ouvert et tous les sens en éveil, dans la gratitude du dépouillement qui incite à la rencontre, dans le supplément de vie qu'apporte l'authenticité du voyage à pied. Pour moi, ce fut un chemin de beauté et de joie.

Commentaires

  • 18/04/2024 13:42 Répondre

    Jef22

    Il y a quelques années je suis passé par le monte San Angelo en parcourant la vía Francigena du sud. Extraordinaire souvenir… Bravo à lui et bon courage pour le retour!
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