Anne Ponce, la directrice de la rédaction de Pèlerin, réagit à la diffusion dans les médias de la photographie du corps sans vie d'un enfant syrien prise le 2 septembre 2015, sur la plage de Bodrum (Turquie).
À la vue de la photo du petit Aylan, mort sur une plage de Turquie, nous avons tous été touchés. En plein cœur. On entend parfois qu’une image en dit davantage que de longs discours ; c’est de toute évidence le cas ici.
Cette photographie cristallise le drame des réfugiés, les hésitations de l’Europe et nos questionnements les plus essentiels : « Que peut-on faire ? Que doit-on faire ? » Alors, à la rédaction de Pèlerin, nous en avons débattu longuement.
Devions-nous publier nous aussi cette image ? Après tout, notre journal diffuse déjà régulièrement de nombreux reportages, témoignages et analyses sur les réfugiés. Oui, mais voilà : cette photo était devenue un symbole, un événement en soi.
La première question que nous nous sommes posée avant de prendre notre décision est celle du respect de la dignité humaine.
Diffuser des photos de personnes mortes n’est pas dans nos habitudes mais nous avons estimé que cette photo ne manquait de respect ni à Aylan, ni à sa famille. Il y a des moments où publier une image comme celle-ci permet de regarder la réalité en face et de provoquer une prise de conscience.
N’oublions pas que, depuis des siècles dans nos églises, les croix présentent à nos regards le corps d’un homme supplicié. Méditer devant l’image d’un innocent sacrifié peut être le ressort d’un sursaut humain et spirituel.
Se posait ensuite la question de l’émotion. Publier cette photo, n’était-ce pas tomber dans le piège de la surenchère ? C’est un risque, en effet, car de l’émotion à la manipulation, il n’y a parfois qu’un pas comme on le voit chaque jour sur les réseaux sociaux. Mais l’être humain est à la fois raison et émotion et le devoir d’humanité, tout comme la mission d’information, passe par le risque de se laisser toucher. C'est pourquoi nous publions dans ce numéro la photo d’Aylan.
Sur cette image, nous mettons cependant des mots car ce sont les mots qui permettent ensuite l’analyse, la réflexion et, bien sûr, l’action. Se laisser toucher et maintenant agir, voici ce à quoi nous sommes invités, au service de notre commune humanité.
Paru le 5 avril 2018
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